En scrutant l’ADN des tumeurs cérébrales, une chercheuse québécoise espère trouver un moyen d’augmenter la survie des enfants atteints de formes agressives de cancer du cerveau.
Alors que la médecine a réussi à améliorer, au cours des dernières décennies, le taux de survie à divers cancers, elle reste impuissante devant l’agressivité du cancer du cerveau. Surtout chez les plus jeunes : à peine 10 % des enfants et des jeunes adultes survivent au-delà de la troisième année suivant le diagnostic de certaines formes particulièrement agressives. De fait, il est la première cause de décès par cancer chez les jeunes de moins de 20 ans. Pour les formes moins malignes, la guérison est possible, mais les survivants souffrent souvent d’incapacités cérébrales graves et permanentes causées par les thérapies qui leur ont sauvé la vie.
Tumeurs sous haute protection
Grâce à ses travaux en génomique, Nada Jabado, hémato-oncologue pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants et chercheuse à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill, a récemment découvert la raison pour laquelle les traitements de chimiothérapie et de radiothérapie traditionnels n’ont pas de prise sur les tumeurs cérébrales les plus mortelles, en particulier chez les enfants. « Mes collègues et moi avons identifié deux mutations génétiques, qui empêchent non seulement les cellules saines de se dupliquer normalement, mais qui protègent les cellules cancéreuses contre les traitements actuels », explique-t-elle.
La chercheuse et ses collègues Michael Taylor, de l’Hôpital SickKids de Toronto, et Jacek Majewski, du Département de génétique humaine de l’Université McGill, ont été les premiers à identifier ces deux mutations génétiques responsables de près de 40 % des glioblastomes chez les enfants, une tumeur cérébrale particulièrement maligne. Autre découverte : les glioblastomes pédiatriques et adultes, qui semblent identiques sous le microscope, sont en fait activés par des mécanismes complètement différents. « On comprend donc mieux pourquoi ces tumeurs résistent à nos traitements chez nos jeunes patients », ajoute la chercheuse qui voit dans ces avancées de nouvelles cibles pour des traitements thérapeutiques personnalisés.
D’ailleurs, l’Organisation mondiale pour la santé a décidé récemment d’inclure dans sa classification des tumeurs du cerveau les mutations identifiées par l’équipe de Dre Jabado : celles-ci servent dorénavant d’outils pour différencier les sous-groupes de tumeurs agressives afin de prédire leur réponse à la radiothérapie et à la chimiothérapie.
Décortiquer les cellules cancéreuses
En examinant les cellules cancéreuses, les chercheurs ont constaté que ces mutations génétiques se formaient probablement lors du développement du cerveau et touchaient plus spécifiquement les histones. Ces protéines essentielles permettent de compacter la longue molécule d’ADN dans le noyau de chaque cellule, mais surtout d’orchestrer toutes les fonctions du génome, en interprétant le code génétique, mais aussi le code épigénétique (ou épigénome). Ce dernier est constitué d’un ensemble de modifications chimiques, dites marques épigénétiques, accumulées au cours du temps selon le mode de vie et l’environnement. Les marques épigénétiques influencent la lecture du code génétique en déterminant entre autres si un gène doit être exprimé ou non. Toute modification aux histones altère ainsi l’épigénome et sa lecture. Dans le cas des glioblastomes, la chercheuse et son équipe ont montré que les histones affectées par ces mutations sont responsables de la genèse, du maintien et de la progression des tumeurs. Comme les marques épigénétiques peuvent être réparées ou même effacées, Nada Jabado pense qu’un sous-groupe de patients pourrait bénéficier d’une thérapie spécifique qui ciblerait l’épigénome.
Dans le but d’augmenter le taux de survie et d’améliorer la qualité de vie des enfants et des jeunes adultes, les chercheurs poursuivent donc leur incursion au cœur des tumeurs cérébrales. Ils ont entrepris d’analyser le génome et l’épigénome des cellules cancéreuses des différentes catégories de tumeurs et souhaitent ainsi déterminer les caractéristiques propres à chacune afin de trouver leurs talons d’Achille.
Le rêve ultime? Trouver des indices fiables pour détecter à un stade précoce les mutations génétiques des tumeurs cérébrales et leur vulnérabilité et, ainsi amorcer les traitements avant que la maladie ne progresse trop. L’équipe de Nada Jabado collabore d’ailleurs avec des cliniciens, des familles d’enfants cancéreux, des bioéthiciens et des économistes de la santé pour trouver au sein même de l’ADN des cellules cancéreuses des cibles qui pourraient répondre à des médicaments spécifiques. La chercheuse espère ainsi un jour que ses diagnostics de cancer du cerveau puissent être accompagnés de pronostics favorables.
L’épigénome : chef d’orchestre de notre génome
De façon imagée, l’épigénome est le chef d’un orchestre constitué d’histones, les musiciens. Tous interprètent une partition en lisant non pas des notes de musique, mais le code génétique. Le mode de vie ou l’environnement, qui marquent les gènes, viennent ajouter des annotations, temporaires ou permanentes, à cette partition, ce qui amène l’orchestre à changer sa façon de lire la musique. Parfois, certains musiciens décodent mal la partition et ses annotations (comme les histones affectées par une mutation) et la symphonie jouée par l’orchestre se transforme alors en cacophonie.