Le cancer de la moelle osseuse fait encore beaucoup trop de victimes. Pour déjouer la maladie, des chercheurs québécois ont pris pour cible les anomalies génétiques associées à ses diverses formes et les protéines défectueuses des cellules cancéreuses.
La leucémie myéloïde aigüe est une dure à cuire! Malgré tous les efforts pour le combattre, ce cancer rare des cellules de la moelle osseuse demeure très mortel : seulement 30 % des adultes en guérissent complètement. Guy Sauvageau, chercheur à l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie de l’Université de Montréal, et Josée Hébert, chercheuse à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, ont toutefois bon espoir de sauver plus de patients en scrutant l’ADN et les protéines des cellules cancéreuses afin de détecter leur vulnérabilité pour en faire la cible d’approches thérapeutiques personnalisées.
Une maladie aux multiples visages
Les deux hématologues ont fait de la leucémie myéloïde aigüe leur cheval de bataille. En 2009, ils ont démarré le projet Leucegene pour développer des tests diagnostiques et pronostiques précis. « Il y avait alors un manque criant d’outils fiables pouvant prédire l’évolution de la maladie et l’efficacité des traitements », explique le Dr Sauvageau. Avec les récentes techniques de séquençage génomique, le chercheur et son équipe ont dressé ces dernières années la liste de plusieurs anomalies génétiques dans le but de départager chacune des différentes formes de la maladie. Le projet Leucegene est d’ailleurs devenu une référence internationale dans le décryptage de ces anomalies et dans l’utilisation de celles-ci, comme marqueurs, pour déterminer le traitement approprié à chacune des formes de cette leucémie.
Ainsi, la leucémie promyélocytaire aigüe, un sous-type de leucémie myéloïde aigüe, est associée à des anomalies génétiques considérées à risque favorable pour le patient. Autrement dit, elle se guérit bien si ce dernier entreprend une thérapie spécifique à ce type de leucémie. Dans le cas d’anomalies classées à risque élevé, la survie du patient s’avère toutefois moins probable, même s’il est soumis à une chimiothérapie. Le médecin privilégiera alors la greffe de cellules souches. Les deux hématologues et leur équipe continuent d’affiner la classification moléculaire des nombreuses formes génétiques de leucémie myéloïde aigüe pour mieux prédire leur réponse aux différents traitements.
Cibler la vulnérabilité des cellules malades
Le Dr Sauvageau et son équipe ont d’ailleurs testé, jusqu’à maintenant, 10 000 composés médicamenteux en lien avec ces anomalies génétiques. Ce travail colossal leur a permis de déceler des points de vulnérabilité dans les cellules cancéreuses et d’identifier les composés qui agissent le mieux sur les différentes formes de la leucémie. C’est ainsi qu’ils ont trouvé qu’un médicament, utilisé notamment pour soigner l’arthrite, serait une arme efficace pour les cas à pronostic défavorable.
Néanmoins, malgré toutes ces avancées apportées par la génomique, 30 % des patients, catégorisés comme à risque intermédiaire, n’ont toujours pas accès à un traitement optimal. « Nous voulons réduire cette proportion à moins de 10 % en exploitant de nouvelles technologies génomiques qui permettraient de déceler des anomalies génétiques jusqu’ici inconnues et, ultimement, de développer de nouveaux tests diagnostiques et pronostiques plus précis, afin de mieux orienter le traitement de ces patients », confirme le Dr Sauvageau.
Les protéines, la solution?
Si certains médicaments s’avèrent déjà efficaces pour traiter différentes formes de leucémie myéloïde aigüe, en agissant sur la vulnérabilité des cellules cancéreuses, le Dr Sauvageau croit qu’il faut voir au-delà du gène : « Il faut chercher la protéine qui fait mal ou qui ne fait pas son travail dans la cellule malade à cause du gène anormal, afin de la cibler précisément avec le bon médicament ». Un travail de moine que le chercheur et son équipe réaliseront en utilisant la banque de cellules leucémiques du Québec, développée par la Dre Hébert depuis presque 20 ans.
Soucieux de partager les fruits de leur recherche, les deux hématologues publieront leurs résultats sur un portail Web public. « Nous voulons ainsi appuyer le travail d’autres chercheurs et rendre l’information disponible aux patients et aux médecins, signale Guy Sauvageau. On pourra y retrouver les anomalies génétiques d’un patient, qui pourront être ensuite utilisées par un spécialiste pour tenter, par exemple, de prédire sa réponse à un médicament ». Son équipe de recherche se penche actuellement sur les lignes directrices, en matière de déontologie et de droit, pour encadrer l’usage de ce portail.
« Dans quelques années, on espère ainsi pouvoir annoncer à nos patients que selon les anomalies génétiques de leurs cellules malades, ils ont par exemple 95 % de chance de bien répondre à un traitement choisi selon leur profil », conclut le Dr Sauvageau. La médecine personnalisée à son meilleur!
Au-delà des gènes : les protéines Grâce aux avancées technologiques et à la meilleure connaissance du génome, l’exploration du protéome connaît un essor spectaculaire. Le protéome regroupe l’ensemble des protéines produites dans les cellules d’un organisme. Ces molécules sont les exécutants d’un gène. Elles assurent le bon fonctionnement d’un organisme. Comme chacun des 20 000 à 25 000 gènes produit des milliers de protéines, le protéome est beaucoup plus vaste que le génome. La protéomique, qui est aux protéines ce que la génétique est aux gènes, promet de découvrir des cibles insoupçonnées pour la conception de nouveaux médicaments. |