Si la sélection traditionnelle a permis l’essor de l’agriculture chez nos ancêtres, c’est par la sélection génomique que Jean Bousquet entend révolutionner la foresterie. Son astuce : reboiser avec des arbres performants qui ont passé le test des gènes avant même de pousser.

La forêt québécoise c’est d’innombrables arbres, mais surtout une réserve naturelle de gènes d’une diversité insoupçonnée… jusqu’à récemment. Le sapin baumier, par exemple, que l’on retrouve dans toute l’Amérique du Nord, n’est pas exactement le même partout. Même chose pour l’épinette noire, le pin gris, le mélèze. Pour chaque essence, il existe des sous-populations adaptées aux conditions spécifiques de leur habitat.

Pour le chercheur, une telle diversité est un catalogue de traits dans lequel on peut piger afin de trouver les meilleurs arbres : croissance, production de graines, résistance à la tordeuse, tolérance à la sécheresse… Chaque arbre est plus ou moins performant pour chacun de ces traits. En sélectionnant les meilleurs arbres pour reboiser dans tel ou tel endroit, on peut obtenir des forêts plus productives.

Mais jusqu’à récemment, pour connaître les « performances » des arbres et sélectionner les meilleurs pour la génération suivante, il fallait les laisser pousser jusqu’à maturité, ce qui nécessitait des décennies. 

Entamés depuis le tout début des années 2000, les travaux de Jean Bousquet prennent de l’altitude depuis quelques années, alors que les méthodes de séquençage de l’ADN se sont accélérées et qu’elles sont devenues abordables. « Au début, se rappelle-t-il, nous suivions les sentiers ouverts par la génétique humaine. Séquencer le génome d’un arbre était impensable : non seulement la procédure coûtait cher, mais c’était d’autant plus inabordable que le génome des conifères est de 6 à 10 fois plus volumineux que le nôtre. Nous avons commencé en nous concentrant sur le séquençage des gènes qui produisent les ARN des cellules. Mais 15 ans plus tard, les méthodes sont devenues accessibles à la foresterie : nous avons publié le génome complet de l’épinette blanche il y a deux ans. »

Le chercheur s’intéresse particulièrement aux gènes d’adaptation, dont les fréquences varient selon les populations. En auscultant ces gènes, on arrive à dresser des listes des arbres selon leur performance pour un critère, du meilleur au moins bon. Les plus tolérants au manque d’eau par exemple, seront plantés dans les zones plus arides, alors que les plus résistants à la tordeuse pourront être mis en terre dans les zones où l’on anticipe les prochaines infestations.

Chaque année, après la récolte par les entreprises forestières, il se plante 125 millions de conifères pour reboiser les terrains de coupe. L’approche génomique développée par Jean Bousquet et ses collaborateurs, lorsqu’appliquée, permettra de planter les arbres optimaux à différents endroits, selon le climat, la disponibilité en eau, les risques d’infestation…

À la clé, une forêt la plus optimale possible, qui pousse vite et bien parce qu’on y a planté les variétés les plus adaptées et les plus productives selon les conditions locales. Faut-il préciser que le ministère québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs, qui est responsable de fournir tous les arbres nécessaires au reboisement, est intéressé et soutient le projet depuis ses débuts ?

« Après plusieurs années d’observations et d’analyses, nous avons trouvé les fréquences de gènes qui correspondent aux arbres ayant le mieux performé pour chaque trait. Sous certaines conditions, nous pouvons maintenant avoir une idée de la performance d’un arbre dès sa naissance, par analyse de son génome. »

Alors que les conifères commerciaux naturels du Québec nécessitent de 70 à 120 ans pour repousser après une coupe, la ligniculture de tels arbres, telle que proposée par Jean Bousquet, permettrait aux entreprises forestières de revenir récolter les arbres après 30 ou 40 ans. « On pourra y retourner deux à trois fois plus souvent, donc on multiplie la valeur commerciale par hectare ainsi que les retombées dans les régions. Sans oublier que cela permettra de mieux conserver nos dernières forêts naturelles ! 

« Le Québec est mûr pour une révolution dans sa façon d’exploiter la ressource forestière, constate Jean Bousquet. Alors que les entreprises forestières doivent construire des routes pour aller de plus en plus loin au nord afin de trouver la ressource, il y a des terres inutilisées ici au sud du Québec, dans la vallée du Saint-Laurent même, qui pourraient servir à la culture forestière. Grâce à notre approche, même les sols considérés comme pauvres pourraient être reboisés et exploités : il suffit d’y planter les bons arbres. »

« J’imagine la foresterie de demain : proche des centres, avec des arbres qui poussent mieux et adaptés aux changements climatiques qui sont déjà là. Il ne s’agit pas de remplacer la forêt existante, mais de l’améliorer. Et la génomique est maintenant là pour nous permettre de le faire plus rapidement. »

Pour en apprendre plus sur la génomique forestière, nous vous invitons à une visite virtuelle du projet FastTRAC, un des projets de l’équipe de Jean Bousquet.