Pratiquement inexistant dans les champs du Québec dans les années 1980, le soya est devenu une culture presque aussi importante que celle du maïs. Il faut dire que cette plante a tout pour plaire aux agriculteurs et aux consommateurs : elle nécessite peu d’engrais pour croître et ses graines sont une importante source de protéines et d’huile. Cependant, comme il est originaire des contrées chaudes, le soya n’aime pas beaucoup le froid québécois ni les étés courts.
Les sélectionneurs, ces spécialistes qui améliorent les plantes par la reproduction, ont donc mis beaucoup d’effort à identifier des variétés à croissance rapide pour les croiser entre elles et obtenir un soya plus adapté à nos conditions. Mais cette méthode a ses limites : c’est un travail de longue haleine et coûteux. En effet, il peut s’écouler une dizaine d’années avant de savoir si la reproduction naturelle de deux variétés a donné une nouvelle variété qui pousse mieux sous nos latitudes. Pour accélérer ce processus, il existe aujourd’hui une solution : la génomique. « Grâce aux nouvelles technologies génomiques, il est possible de déterminer rapidement quelles variétés possèdent, par exemple, des gènes de maturité hâtive », explique François Belzile, professeur au Département de phytologie de l’Université Laval et codirecteur du projet SoyaGen.
Le chercheur et son collègue Richard Bélanger, également de l’Université Laval, ont créé SoyaGen pour soutenir, à l’aide d’outils génomiques, les producteurs canadiens dans leur quête de variétés de soya à croissance rapide, moins frileuses et plus résistantes aux maladies notamment. Le but ultime : augmenter le rendement aux champs afin de répondre à la demande croissante pour cette plante protéinée. En effet, depuis quelques années, le Canada s’est taillé une place de choix sur les marchés grâce à la qualité de son soya, particulièrement recherché en Asie pour être transformé en tofu. « Avec la génomique, on peut amener la production à un autre niveau », affirme François Belzile.
Faire pousser plus vite
L’équipe de SoyaGen, composée de scientifiques de six institutions canadiennes, s’affaire à analyser le code génétique du soya afin d’identifier précisément les gènes ou les combinaisons de gènes qui sont impliqués dans les aspects clés de la croissance de la plante. Ils identifient parallèlement des marqueurs moléculaires (ou génétiques), de petits segments d’ADN situés près de ces gènes. Ces marqueurs, plus faciles à mesurer que les gènes par les techniques d’analyse d’ADN, deviennent les témoins de la présence ou de l’absence des gènes recherchés dans une plante. C’est le principe de la sélection assistée par marqueurs.
François Belzile explique que la seule façon d’arriver à créer des variétés de soya adaptées aux courts étés canadiens est de croiser des variétés hâtives (qui poussent vite) qui n’ont pas tout à fait les mêmes gènes. « Tel un rayon X, la génomique repère les marqueurs moléculaires et permet de mettre précisément le doigt sur les traits recherchés. Il est possible ensuite de cumuler les avantages de différentes variétés pour créer une super variété, au lieu de passer par des essais aux champs, un peu à tâtons ».
Trouver l’ennemi
Toujours grâce à la génomique, les chercheurs connaissent, pour plusieurs variétés de soya, les gènes qui peuvent leur conférer une résistance complète ou partielle à une espèce de champignon, comme celle responsable de la pourriture des racines. Ils testent donc, par sélection assistée par marqueurs, le croisement de variétés de soya ayant des gènes de résistance différents dans l’espoir d’en obtenir qui auront une résistance à plusieurs pathogènes.
« Nous développons également des tests génomiques pour identifier rapidement l’ennemi au champ, ce qui permettra aux agriculteurs de cultiver la variété qui a les gènes pour y résister naturellement », explique le chercheur. Pour ce faire, les scientifiques caractérisent des échantillons de sols ou de plants infectés afin de trouver les marqueurs moléculaires qui trahissent la présence de champignons indésirables.
Ces outils visent à limiter les dégâts aux cultures, mais aussi à réduire l’utilisation de fongicides.
Une encyclopédie génétique du soya
Actuellement, environ 530 variétés de soya cultivées au Canada ont été caractérisées à l’aide de 150 000 marqueurs génétiques. De plus, l’équipe du professeur Belzile a réussi à séquencer le génome complet d’une centaine de variétés jugées représentatives du soya cultivé au Canada. « Ces résultats sont déjà disponibles dans une banque de données accessible en ligne. Par contre, de tels catalogues de millions de marqueurs génétiques ne sont pas vraiment utiles pour les sélectionneurs, alors on les traduit en comportement au champ ». Ainsi, un sélectionneur peut savoir, par exemple, que telle lignée de soya possède un bagage génétique qui lui permettra de fleurir cinq jours plus tôt qu’une autre lignée.
Ces renseignements seront utiles, notamment pour les agriculteurs de l’Ouest canadien qui commencent à cultiver le soya et pour ceux du Québec qui cherchent à augmenter leur production. Alors que les revenus canadiens du soya sont estimés à 250 millions de dollars annuellement, ils pourraient augmenter de 50 % au cours des prochaines années grâce à un soya mieux adapté à notre climat et nos champs.