On sous-estime la vie qui prolifère sur un fromage. C’est pourtant d’elle que dépend toute la saveur de l’aliment! Steve Labrie explore l’univers microscopique des fromages et cartographie les gènes des bactéries et champignons qui pullulent à leur surface afin d’aider l’industrie à faire de meilleurs produits.

Écoutez le professeur Steve Labrie de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l’Université Laval, nous parler de l’importance de la génomique dans la production fromagère au Québec.

Obtenir un fromage parfait : une question d’équilibre


S’il était possible de rétrécir et de se promener sur un fromage, on aurait l’impression de visiter une jungle. De longs filaments de champignons jonchent la surface ou pendent comme des lianes, des bactéries de toutes les formes occupent tous les racoins par milliers, des spores sont libérées en abondance… Une biodiversité à l’égal des grandes forêts tropicales du globe!

 
Chercheur au Laboratoire de mycologie alimentaire de l’Université Laval, Steve Labrie est un explorateur de ces écosystèmes invisibles. Il développe les outils génétiques nécessaires pour dresser les profils de flore de chaque fromage afin d’aider les fromageries à réussir leurs fromages à tous les coups.

 
« Chaque fromage possède sa flore microbienne bien à lui, confirme Steve Labrie. C’est un écosystème à part entière qui vit sur un fromage et c’est cet écosystème qui confère la saveur et la typicité qui permettent de distinguer un fromage parmi tous les autres. »

 
Maintenir la qualité et le goût est le Graal de toute fromagerie. Bon an, mal an, les producteurs doivent essuyer des pertes de 2 à 20 % à cause des dérives qui affectent ponctuellement la microflore. D’où l’importance des travaux de Steve Labrie pour les grandes fromageries qui perdent parfois beaucoup d’argent lorsqu’un fromage « s’égare ». Le but est de bien connaître les espèces microbiennes en présence sur chaque variété de fromage afin de s’assurer qu’elles sont toutes présentes – et seulement elles – à chaque fois qu’on fabrique un nouveau lot.

 
Sur les pâtes fermes, le nombre d’espèces microbiennes est relativement limité. Sur un cheddar par exemple, la surface est dominée par des lactobacilles, bactéries qui produisent de l’acide lactique, alors que sur un fromage à croûte fleurie, comme un camembert, se trouvent des levures, des champignons des genres Penicillium ou Geotricum (responsable de la croûte blanche), des bactéries lactiques, etc. 


D’où viennent tous ces microbes? Du lait, au départ, mais aussi du processus de caillage au cours duquel on incorpore volontairement des bactéries dans le lait pour qu’il se transforme. Par la suite, lors de l’affinage (le vieillissement), les artisans lavent parfois les meules avec une saumure. En utilisant le même liquide et le même tissu d’un fromage à l’autre, ils s’assurent une uniformité en bactéries et en champignons sur tous les fromages. Ensuite, la microflore sera aussi influencée par l’humidité, le pH, le salage, la température d’affinage, etc.

Mais si une partie de la microflore est volontairement inoculée dans le lait par le fromager, une part importante se dépose aussi naturellement à sa surface. C’est ce qui fait la typicité du terroir. Les spores de champignons et les bactéries qui flottent dans l’air d’un coin de pays ne sont pas les mêmes que ceux d’une autre région. C’est ce qui fait qu’un fromage est presque impossible à copier à l’identique si on le fabrique dans un autre endroit.

Et c’est aussi ce qui rend si difficile la constance du goût et de la qualité d’un fromage. D’un lot à l’autre, il suffit d’un changement de saison, d’une nouvelle source de spores ou d’une contamination indésirée pour que le produit change de goût

Industrie fromagère et génomique : une combinaison parfaite

Des variations que ne peuvent se permettre les grosses fromageries, comme la coopérative Agropur, qui appartient à 3 400 producteurs laitiers et qui transforme plus du quart du lait produit au Canada. En partenariat avec cette coopérative, le projet de Steve Labrie vise la mise au point d’un outil génétique pour mieux contrôler la production de fromage, limiter les pertes et produire des fromages de grande qualité qui auront une meilleure durée de conservation et qui feront l’objet de moins de retours.


« De plus, poursuit le chercheur, le projet permettra de créer un ensemble de profils génomiques normalisés pour chaque fromage, un genre de « liste de vérification » qui pourra être utilisée en usine pour s’assurer que l’évolution de chaque fromage suit son cours normal. »

D’ici là, les laboratoires du chercheur embaument le fromage. Par séquençage à haut débit, on dresse la carte des différents gènes actifs sur un fromage et on détermine les espèces présentes. On parvient ensuite à comprendre les activités métaboliques en jeu. Il ne faut pas oublier que les microbes s’influencent les uns les autres. Un fromage est plus que la somme des bactéries et des champignons qui le composent. Des saveurs nouvelles peuvent émerger de la rencontre de deux ou plusieurs organismes.


Avec son équipe, le chercheur génère volontairement des fromages ratés et séquence le génome de leur microflore. Il compare les mauvais profils aux profils désirés et arrive à comprendre les effets que les variations des paramètres de fabrication entraînent.

« Traditionnellement, on estimait qu’environ 150 espèces différentes pouvaient se développer sur un fromage de spécialité, sans compter les multiples souches de chaque espèce, explique Steve Labrie. Avec les outils génétiques d’aujourd’hui, on réalise que ce nombre était vraiment sous-estimé. Il y a beaucoup plus de bactéries qu’on le croyait et la biologie classique est insuffisante pour comprendre cette microflore. C’est grâce à la génomique moderne et à l’informatique qu’on arrivera à cerner tout cela. »

Au final, lorsque le chercheur aura caractérisé l’affinage de tous les fromages d’Agropur, il transfèrera les outils génétiques obtenus à la coopérative afin qu’elle puisse elle-même mener ses tests et continuer de façon plus assurée que jamais à nous délecter de ses fromages de spécialité. 

COMBIEN Y A-T-IL DE VARIÉTÉS DE FROMAGES AU QUÉBEC?

Des 1 050 fromages canadiens, 900 variétés proviennent du Québec. Les fromagers québécois fabriquent d’excellents produits; nombre d’entre eux se sont, d’ailleurs, distingués dans plusieurs concours internationaux. Il y a ici de grandes entreprises, mais aussi des fromageries fermières qui méritent d’être découvertes.